Le cargo en tôle

Publié le 18 Juin 2014

Le cargo en tôle

A l’ombre de deux noisetiers, au bout du jardin se blottissait une cabane de bois. Le petit garçon était arrivé ici par hasard, pendant une chasse au trésor improvisée, un après midi d’été. Il poussa la porte garnie de carreaux bariolés tenus par un vieux mastic gris et fendillé. A l’intérieur, sur des étagères de guingois, des pots de verre, alignés, renfermant, vis, écrous de toutes sortes. Au sol, les outils de jardinier encore tout crottés, des traces de boue séchées par les rayons du soleil qui pénétraient timidement par la fenêtre, attirèrent son attention. Elles se dirigeaient vers une caisse faite de planches mal sciées, protégée par des toiles d’araignées, peut-être pour le préserver d’un étrange mystère. Il était là, un petit bateau, esquinté par le temps, orné de rouille qui le décorait par les années passées, la peinture écaillée, blessé d’être abandonné, caché sous des torchons souillés. Entre ses mains, les yeux écarquillés, il contemplait son joyau. Dehors, à l’entrée, sous la gouttière percée, un baquet trônait rempli d’eau croupie, faisant la joie des gérridés qui sur leurs grandes pattes glissaient à la surface comme sur une patinoire. Il tourna vivement la clé qui servait à remonter le mécanisme, l’hélice en grinçant une première fois prit de l’assurance, entraînée par le ressort tendu. Il posa le petit cargo sur l’eau, le bateau faisait des ronds en s’aidant du rebord de la cuve. – « Pas très rapide ce navire » pensait le garçon en lui versant de la paume un filet d’eau sur le pont, pour le baptiser d’un nom. -« Vu ta rapidité, je te nomme " l’Ex-Cargo " de plus nous sommes en Bourgogne, cela te conviendra ! » pensait-il. Ne prenant pas garde, l’excès de liquide le fit pencher dangereusement, il gîta sur le coté puis finit par sombrer. Surpris par cet événement inattendu, le garçonnet se retroussa la manche, plongea le bras dans les flots glacés pour le rattraper. En vain, il s’échoua au fond en laissant échapper de sa coque un filet de bulles comme pour rendre son dernier souffle. Les yeux embués, une larme coulait sur sa joue. L’orage au loin grondait, déjà de lourdes gouttes tombaient, vite il alla se réfugier à l’intérieur de la cabane, ferma la porte. Assis à même le sol, les genoux sous le menton, il pensait à cette triste fin. Les éclairs redoublaient, l’ombre des outils sur le mur le terrifiait comme des armures d’un château hanté…. Ce petit garçon c’était moi, les années ont marqué mon visage mais jamais je n’oublierai le naufrage de mon petit cargo de tôle. Pour ne pas le perdre de mes pensées je décide d’enfermer mes rêves dans une bouteille, non pour m’enivrer mais à la gloire de ce jouet d’enfance. Délire naissant, je me mis au travail sans tarder. D’un morceau de ferraille et à la sueur de mon front je limai sans relâche, comme envouté par son esprit, la jolie coque prenait forme, le pont et autres pièces prenaient place. Il était prêt à être emprisonné ! Aujourd’hui, entre mes mains, les yeux écarquillés, je contemple mon joyau, souriant d’avoir retrouvé mon petit bateau. Désormais, au fond de la bouteille, il gisait sur son flanc, adossé à une barre rocheuse, agonisant. Il cabotait paisiblement depuis les îles Verte de Guyane. Une torpille affligé par un U-Boot qui rôdait, comme un squale assoiffé de sang, dans les eaux troubles au large d’Ouessant un été 1944. Rencontre tragique, qui mit fin à son histoire. Jeu de guerre ? Laissons libre notre imaginaire, ce n’est qu’un jouet d’enfant. Gérard Gauvin

Rédigé par bateaux en bouteilles

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